La tombe


La tumba


Un riche fermier était un jour devant sa porte, considérant ses champs et ses jardins; la plaine était couverte de ses moissons et ses arbres étaient chargés de fruits. Le blé des années précédentes encombrait tellement ses greniers que les poutres des planchers cédaient sous le poids. Ses étables étaient pleines de boeufs à l'engrais, de vaches grasses et de chevaux reluisants de santé. Il entra dans sa chambre et jeta les yeux sur le coffre-fort dans lequel il enfermait son argent. Mais, comme il était absorbé dans la contemplation de ses richesses, il crut entendre une voix qui lui disait: « Avec tout cet or, as-tu rendu heureux ceux qui t'entouraient! as-tu songé à la misère des pauvres! as-tu partagé ton pain avec ceux qui avaient faim? T'es-tu contenté de ce que tu possédais, et n'en as-tu jamais envié davantage? »
Son cœur n'hésita pas à répondre: « j'ai toujours été dur et inexorable; je n'ai jamais rien fait pour mes parents ni pour mes amis. Je n'ai jamais songé à Dieu, mais uniquement à augmenter mes richesses. J'aurais possédé le monde entier, que je n'en aurais pas encore eu assez.
Cette pensée l'effraya, et les genoux lui tremblaient si fort qu'il fui contraint de s'asseoir. En même temps on frappa à la porte. C'était un de ses voisins, un pauvre homme, chargé d'enfants qu'il ne pouvait plus nourrir. « Je sais bien, pensait-il, que mon voisin est encore plus dur qu'il n'est riche; sans doute il me repoussera, mais mes enfants me demandent du pain, je vais essayer. »
Il dit au riche: « Vous n'aimez pas à donner, je ne l'ignore pas; mais je m'adresse à vous en désespoir de cause, comme un homme qui va se noyer saisit toutes les branches: mes enfants ont faim, prêtez-moi quatre boisseaux de blé. »
Un rayon de pitié fondit pour la première fois les glaces de ce cœur avare: « Je ne t'en prêterai pas quatre boisseaux, répondit-il, je t'en donnerai huit, mais à une condition....
- Laquelle! demanda le pauvre.
- C'est que tu passeras les trois premières nuits après ma mort à veiller sur ma tombe. »
La commission ne souriait guère au pauvre homme; mais, dans le besoin où il était, il aurait consenti à tout. Il promit donc, et emporta le blé chez lui.
Il semblait que le fermier eût prévu l'avenir; car trois jours après, il mourut subitement, et personne ne le regretta. Quand il fut enterré, le pauvre homme se souvint de sa promesse; il aurait bien voulu s'en dispenser, mais il se dit: « Cet homme a été généreux envers moi, il a nourri mes enfants de son pain; d'ailleurs j'ai donné ma parole et je dois la tenir. » A la chute du jour, il alla dans le cimetière et s'établit sur la tombe. Tout était tranquille, la lune éclairait les tombeaux, et de temps à. autre un hibou s'envolait en poussant des cris funèbres. Au lever du soleil, il rentra chez lui sans avoir couru aucun danger, et la seconde nuit se passa de même.
Le soir du troisième jour, il sentit une secrète appréhension, comme s'il allait se passer quelque chose de plus. En entrant dans le cimetière, il aperçut, le long du mur, un homme d'une quarantaine d'années, au visage balafré et aux yeux vifs et perçants, enveloppé dans un vieux manteau sous lequel on voyait passer seulement de grandes bottes de cavalier. « Que cherchez-vous ici? lui cria le paysan; n'avez-vous pas peur dans ce cimetière?
- Je ne cherche rien, répondit l'autre; mais de quoi aurais-je peur? Je suis un pauvre soldat congédié, et je vais passer la nuit ici, parce que je n'ai pas d'autre gîte.
- Eh bien! dit le paysan, puisque vous n'avez pas peur, venez m'aider à garder cette tombe.
- Volontiers, répondit le soldat; monter la garde, c'est mon métier. Restons ensemble, nous partagerons le bien comme le mal qui se présentera. »
Ils s'assirent tous deux sur le tombeau.
Tout resta tranquille jusqu'à minuit. A ce moment, on entendit dans l'air un coup de sifflet aigu, et les deux gardiens virent devant eux le diable en personne. « Hors d'ici, canailles, leur cria-t-il; ce mort m'appartient, je vais le prendre, et, si vous ne décampez au plus vite, je vous tords le cou.
- Seigneur à la plume rouge, lui répondit le soldat, vous n'êtes pas mon capitaine; je n'ai pas d'ordres à recevoir de vous, et vous ne me ferez pas peur. Passez votre chemin, nous restons ici. »
Le diable pensa qu'avec de l'argent il viendrait à bout de ces deux misérables, et prenant un ton plus doux, il leur demanda tout familièrement si, moyennant une bourse pleine d'or, ils ne consentiraient pas à s'éloigner. « A la bonne heure, reprit le soldat, voilà qui est parler, mais une bourse d'or ne nous suffit pas; nous ne quitterons la place que si vous nous en donnez de quoi remplir une de mes bottes. - Je n'ai pas sur moi ce qu'il faut, dit le diable; mais je vais en aller chercher. Dans la ville ici près demeure un usurier de mes amis qui m'avancera volontiers la somme. »
Quand le diable fut parti, le soldat tira sa botte gauche en disant: « Nous allons lui jouer un tour de vieille guerre. Compère, donnez-moi votre couteau. » Il coupa la semelle de ta botte et posa la tige toute dressée dans les hautes herbes, contre une tombe voisine. « Tout va bien, dit-il; maintenant le noir ramoneur peut revenir. »
Ils n'attendirent pas longtemps: le diable arriva avec un petit sac d'or à la main. Versez, dit le soldat en haussant un peu la botte; mais ce ne sera pas assez. »
Le malin vida le sac; mais l'or tomba par terre et la botte resta vide. « Imbécile, lui cria le soldat, cela ne suffit pas. je te l'avais bien dit. Retourne en chercher et rapportes-en davantage. »
Le diable partit en secouant la tête, et revint au bout d'une heure avec un bien plus gros sac sous le bras. « Voilà qui vaut mieux, dit le soldat; mais je doute que cela remplisse encore la botte.»
L'or tomba en résonnant, mais la botte resta vide. Le diable s'en assura lui-même en y regardant avec des yeux ardents. « Quels effrontés mollets as-tu donc? s'écria-t-il en faisant la grimace.
- Voudrais-tu, répliqua le soldat, me voir un pied de bouc comme le tien? Depuis quand es-tu devenu avare? Allons, va chercher d'autres sacs, ou sinon pas d'affaire entre nous. »
Le maudit s'éloigna encore. Cette fois il resta plus longtemps absent, et quand il revint à la fin, il pliait sous le poids d'un sac énorme qu'il portait sur son épaule. Il eut beau le vider dans la botte, elle se remplit moins que jamais. La colère le prit, et il allait arracher la botte des mains du soldat, quand le premier rayon du soleil levant vint éclairer le ciel. A l'instant même il disparut en poussant un grand cri. La pauvre âme était sauvée.
Le paysan voulait partager l'argent; mais le soldat lui dit: « Donne ma part aux pauvres. Je vais aller chez toi, et avec le reste nous vivrons paisiblement ensemble, tant qu'il plaira à Dieu. »
Un rico campesino se estaba un día en la era contemplando sus campos y huertos; el grano crecía ubérrimo, y los árboles frutales aparecían cargados de fruta. La cosecha del año anterior se hallaba todavía en el granero, tan copiosa, que a duras penas resistían las vigas su peso. Pasó luego al establo, lleno de cebados bueyes, magníficas vacas y caballos de piel lisa y reluciente. Por último, subiendo a su aposento contempló las arcas de hierro que encerraban sus caudales.
Mientras se hallaba absorto considerando sus riquezas, oyó una fuerte llamada, muy cerca de donde él estaba; mas no era en la puerta del aposento, sino en la de su corazón. Abrió, y oyó una voz que le decía:
- ¿Has ayudado a los tuyos? ¿Has pensado en los pobres? ¿Has compartido tu pan con los hambrientos? ¿Te has contentado con lo que poseías, o has codiciado más y más?
El corazón respondió sin vacilar:
- He sido duro e inexorable, y jamás hice el menor bien a los míos. Cuando se me presentó un pobre, aparté de él la mirada. No pensé en Dios, sino únicamente en aumentar mis riquezas. Si hubiese poseído todo lo que existe bajo el cielo, no habría tenido aún bastante.
Al escuchar el hombre esta respuesta, asustóse en gran manera; las rodillas empezaron a temblarle, y tuvo que sentarse. En aquel momento volvieron a llamar; esta vez, en la puerta de la habitación. Era su vecino, un pobre infeliz, padre de un montón de hijos a los que no podía dar de comer. "Bien sé -pensó el desgraciado- que mi vecino es tan duro de corazón como rico. No creo que me ayude; pero mis hijos necesitan pan; no perderé nada con probar". Y dijo al rico:
- No os gusta desprendemos de lo vuestro, ya lo sé, pero me presento ante vos como un hombre que está con el agua al cuello. Mis hijos se mueren de hambre: prestadme cuatro medidas de trigo-. El rico lo miró un buen rato, y el primer rayo de sol de la misericordia derritió una gota del hielo de su codicia.
- No te prestaré cuatro medidas -respondióle-, sino que te regalaré ocho; pero con una condición.
- ¿Qué debo hacer?- preguntó el pobre.
- Cuando yo me muera, habrás de velar tres noches junto a mi tumba.
No le hizo mucha gracia al labrador aquella exigencia, pero en la necesidad en que se encontraba se habría avenido a todo, por lo que dio su promesa y retiróse con el trigo.
Parecía como si el rico hubiese previsto lo que iba a ocurrir: a los tres días cayó muerto de repente. No se supo a punto fijo, cómo había ocurrido la cosa; pero nadie se condolió de su muerte. Cuando lo enterraron, el pobre se acordó de su promesa, y, aunque deseaba verse libre de cumplirla, pensó:
"Conmigo se mostró compasivo; con su grano pude saciar a mis hambrientos hijos; y, aunque así no fuese, ya que lo prometí, debo cumplirlo".
Al llegar la noche se encaminó al cementerio y se sentó sobre la tumba. El silencio era absoluto. La luna iluminaba la sepultura; de tarde en tarde pasaba volando una lechuza y lanzaba su grito lastimero. Cuando salió el sol, nuestro hombre regresó a su casa sin novedad; la segunda noche discurrió tan tranquila como la primera. Pero al atardecer del día tercero, el buen hombre experimentó una angustia inexplicable; presentía que iba a ocurrirle algo. Al llegar al cementerio vio a un desconocido apoyado en la pared. No era joven; tenía el rostro lleno de cicatrices, y su mirada era aguda y fogosa. Iba envuelto en una vieja capa, bajo la cual aparecían unas grandes botas de montar.
- ¿Qué buscas aquí? -preguntóle el labrador-. ¿No te da miedo la soledad del cementerio?
- No busco nada -respondió el forastero-, pero tampoco temo a nada. Soy como aquel mozo que salió a correr mundo para aprender lo que es el miedo y no lo consiguió. Pero a aquél le tocó en suerte casarse con una princesa que le aportó grandes riquezas, mientras que yo he sido siempre pobre. Soy soldado licenciado y pienso pasar la noche aquí, a falta de otro refugio.
- Si no tienes miedo -dijo el labriego-, quédate conmigo y ayúdame a velar sobre esta tumba.
- Esto de velar es misión de un soldado -respondió el otro-. Compartiremos lo que suceda, sea bueno o malo.
El campesino se declaró conforme, y los dos se sentaron sobre la sepultura.
Todo permaneció tranquilo hasta media noche. A esta hora, rasgó de repente el aire un agudo silbido, y los dos guardianes vieron al diablo en carne y hueso, de pie ante ellos.
- ¡Fuera de aquí, bribones! -les gritó-. El que está aquí enterrado es mío, y vengo a llevármelo; y si no os apartáis, os retorceré el pescuezo.
- Mi señor de la pluma roja -replicó el soldado-, vos no sois mi capitán y no tengo por qué obedeceros; y, en cuanto a tener miedo, es cosa que aún no he aprendido. Continuad vuestro camino, que nosotros no nos movemos.
Pensó el diablo: "Lo mejor será deshacerse de ellos con un poco de dinero", y, adoptando un tono más apacible, les propuso que abandonasen el lugar a cambio de un bolso de oro.
- Eso es hablar -respondió el soldado-; pero con un bolso no nos basta. Si os avenís a darnos todo el oro que quepa en una de mis botas, os dejaremos libre el campo y nos marcharemos.
- No llevo encima el suficiente -dijo el diablo-, pero iré a buscarlo. En la ciudad contigua vive un cambista que es amigo mío y me lo prestará.
Cuando el diablo se hubo alejado, el soldado, quitándose la bota izquierda, dijo:
- Vamos a jugarle una mala pasada a este carbonero. Dejadme vuestro cuchillo, compadre.
Y cortó la suela de la bota, que colocó luego al lado de la sepultura, al borde de un foso profundo disimulado por la alta hierba. - Así está bien -dijo-. Que venga el deshollinador.
Sentáronse los dos aguardando su vuelta, que no se hizo esperar mucho. Venía el diablo con un saquito de oro en la mano.
- Echadlo dentro -dijo el soldado levantando un poco la bota-; pero no habrá bastante.
El negro vació el saco, el oro pasó a través de la bota y ésta quedó vacía.
- ¡Estúpido! -exclamó el soldado-. Esto no basta. ¿No os lo he dicho? Id por más.
El diablo meneó la cabeza, se marchó y, al cabo de una hora, comparecía de nuevo con otro saco, mucho mayor, debajo del brazo.
- Echadlo -dijo el soldado-, pero dudo que baste para llenar la bota.
Sonó el oro al caer, pero la bota siguió vacía.
El diablo miró el interior con sus ojos de fuego, pero hubo de persuadirse de que era verdad.
¡Vaya piernas largas que tenéis! -exclamó, torciendo el gesto.
- ¿Pensábais, acaso, que tenía pie de caballo, como vos? - ¿Desde cuando sois tan roñoso? Ya podéis arreglaros para traer más oro; de lo contrario, no hay nada de lo dicho.
Y el diablo no tuvo más remedio que largarse otra vez. Tardó en volver mucho más que antes; pero, al fin, compareció, agobiado por el saco que traía a la espalda. Soltó el contenido en la bota, pero ésta quedaba tan vacía como antes. Furioso, hizo un movimiento para arrancar la prenda de manos del soldado; pero en el mismo momento brilló en el cielo el primer rayo del sol levante, y el maligno espíritu escapó con un grito estridente. La pobre alma estaba salvada.
El campesino quiso repartir el oro, pero el soldado le dijo.
- Da mi parte a los pobres. Yo me alojaré en tu cabaña, y con lo que queda viviremos en paz y tranquilidad el tiempo que Dios nos conceda de vida.